mercredi 6 mars 2019

Dans les yeux de Lya: interview de Carbone et Justine Cunha

Lors de la dernière Foire du Livre de Bruxelles qui s'est déroulée du 14 au 17 février 2019, j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer et interviewer plusieurs auteurices de chez Dupuis.
Outre le fait que j'étais plus excitée encore qu'un enfant la veille de Noël, j'ai passé de très bons moments en leur compagnie et j'ai pu apprendre pas mal de choses.

Voici la retranscription de ma première interview, celle de Bénédicte Carboneill (alias Carbone) et Justine Cunha pour la sortie de leur BD Dans les yeux de Lya.
C'est l'interview est la plus longue que j'ai réalisée et j'espère avoir retranscrit ce moment le plus fidèlement possible, car j'ai véritablement passé un super moment en leur compagnie !
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A Carbone: Félicitations pour le prix qu'a reçu La boîte à musique ! Ça fait quoi d'être primée à Angoulême?

Carbone: C'est juste énorme. Déjà être sélectionnés c'était wouah, mais recevoir le Fauve des Ecoles... On ne s'y attendait pas.
Après c'est surtout symbolique: un prix à Angoulême c'est quand même quelque chose.  Je n'aurais jamais imaginé ça alors que la BD est sortie l'année passée - à Angoulême justement.

En tout cas c'était mérité.

C: Merci.

Comment a commencé l'histoire de Lya ?

C: Ah ben ça c'est encore moi, je suis la spécialiste ! Ça s'est passé comme avec Gijé pour La boîte à musique: je suivais un peu son travail et un jour elle a posté une petite rouquine qui était de profil et tout de suite ça m'a inspiré.
Justine: C'était encore une inspiration sous la douche *rire*
C: Oui c'est ça *rire*
J: J'avais dessiné juste le buste. En plus elle avait des piercing, des cheveux beaucoup plus longs. Elle était vraiment différente de ce qu'elle est maintenant.
C: Et tout de suite je l'ai vue dans un fauteuil. Je sais pas du tout d'où ça vient, mais du coup j'avais une histoire, un fil conducteur.
Je l'ai contactée et elle ne m'a pas dit non.
J: Ah ça, j'ai pas dit non *rire* J'étais en mode fangirl: "C'est vrai ?? C'est pour de vrai ??" 

Contactée par Carbone, on ne peut pas refuser.

C: Même pas, parce que personne ne me connaissait.
J: En plus à l'époque La boîte à musique n'était pas encore sortie.

Ah oui, donc ça fait déjà un petit moment.

J: Un an et demi, deux ans. Un truc comme ça.
C: Oui et moi je ne me mets pas de pression, je ne me prends pas la tête, j'y vais au culot. Je lui dit que j'aime beaucoup ce qu'elle fait, que ça m'intéresse, mais que je ne promets rien. 
J: Je pense que La boite à musique était déjà en impression la première fois où l'on s'est vue.
C: Possible. En tout cas je n'ai aucune prétention: je lui propose seulement mon truc, mon idée et je me dis qu'on verra après.
J: Et moi j'ai dit oui tout de suite, 
C: Elle a été plus facile à convaincre que Gijé *rire*
J: Ah mais il n'y avait même pas besoin de me convaincre. J'ai toujours voulu faire de la BD et l'histoire qu'elle m'a proposé, c'était vraiment ce que je voulais faire.
J'adore les personnages féminins: il y en a beaucoup, ils sont très variés et ils ont des caractères très forts donc ça parle à mon cœur.
Ça se passe dans un cabinet d'avocats: ma sœur est avocate, donc je connais un peu le milieu.
Je ne sais pas si j'aurais dit oui tout de suite si tu m'avais proposé un héros, parce que j'aime moins dessiner des garçons. Même si j'ai beaucoup de plaisir à dessiner Antoine, j'ai moins de plaisir à dessiner des garçons, donc je ne sais pas si j'aurais eu le même élan. 
Je pense que je l'aurais fait parce que je me serait dit "il faut le faire", parce que c'est quand même une expérience qui ne se présente qu'une fois dans ta vie.
Mais du coup le fait que ça soit une fille, ça a beaucoup aidé. J'adore les héroïnes et Lya c'est le type d'héroïne que j'aime bien; elle est têtue, elle est curieuse, elle est caractérielle. J'aime bien ça
C: Et puis au départ on devait juste monter un dossier. On ne savait pas du tout si ça allait aboutir, si ça allait plaire à un éditeur. Parce que ce n'est pas forcément parce que tu as déjà une BD publiée chez Dupuis que ça va marcher à tous les coups.

Du coup, Carbone découvreuse de talents sur les réseaux sociaux... D'abord Gijé, puis Justine.

C: Ça ne s'explique pas, ce sont vraiment des coups de cœur visuels. Je pourrais faire des commandes, mais là si on m'avait demandé "Fais-moi une série ou un one-shot sur une fille qui est en fauteuil roulant" je ne suis même pas sûre que j'aurais été capable de le faire.
J: Oui, ça venait vraiment de toi.
C: Ce n'était pas non plus une envie de dire "je veux faire parler une héroïne handicapée".

C'était juste une évidence.

C: Oui c'est vraiment ça.
J: Et puis c'est bien, ça montre aussi que pour toi ce n'est pas juste le fait de vouloir parler d'une héroïne en fauteuil. C'est plutôt un constat qu'il y a des gens en situation de handicap et que ton héroïne elle l'est aussi, point.
C: Oui, pour moi elle est comme les autres. Forcément elle a des difficultés liées à son handicap, mais il y également plein de gens formidables qui sont dans une situation de handicap et qui le surmontent et ont plein d'autres qualités et capacités qui ne sont pas inhérentes à cela.
J: Tout simplement, Lya n'est pas définie par son handicap. Parfois on définit simplement les gens par ça. On aurait pu croire que sa condition définit son personnage, mais pas du tout.

Et finalement quand on lit la BD, on oublie presque qu'elle est en situation de handicap.

C: Nous aussi parfois on l'oubliait. Parfois quand Justine la dessinait, elle oubliait le fauteuil. 
La première fois qu'elle a dessiné le cabinet d'avocat, elle avait mis des escaliers partout. Du coup je lui ai dit "Et elle y rentre comment ?"
J: Je n'y avais juste pas pensé. Pour moi elle était devenue tellement la norme que je ne voyais même plus son fauteuil.
C: Après forcément, c'est ça qui motive sa quête, mais elle aurait très bien pu être valide.

Il n'y avait donc aucune volonté de parler des personnes à mobilité réduite, des personnes LGBT ou d'autres minorités? 

J: Non, mais au final, c'est bien que ce soit représenté.
C: Au départ, de la manière dont je l'ai pensé, je voulais juste faire un polar. Mais je l'ai vue en fauteuil et tout en a découlé: Pourquoi elle est en fauteuil ? Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? Et caetera.
Du coup ça s'est construit comme ça, mais ce n'était pas une volonté de départ.
J: Et c'est bien parce que ça montre qu'il y a une diversité de personnes: des gens en fauteuil, d'autres non. On vit dans un monde divers et varié et faut qu'il y ait de la représentation.

Et donc Justine, c'est ta première BD? 

J: Oui.

Qu'est-ce que ça fait de la voir éditée et de l'avoir en main ?

J: C'est énormément de joie d'un coup. Quand j'ai reçu la BD j'étais presque en larme. Je me suis dit "J'ai passé dix mois dans mon canapé à dessiner et maintenant j'ai un livre dans les mains !"
Et en même temps c'est beaucoup de stress parce qu'on ne sait pas comment les gens vont recevoir la BD, s'ils vont l'aimer, si ça va marcher, et plein d'autres questions dans le même genre.
On prends beaucoup de plaisir à faire ce que l'on fait, mais malgré tout on le fait pour des gens et on attend leurs réactions.
Il y a toujours ce stress de se dire "Et si les gens n'aiment pas, si ça ne les touche pas ?" parce que ce qui nous touche, on a forcément envie que ça touche les autres.
Mais en tout cas, les premiers retours qu'on a eu jusque maintenant, c'est que du bonheur. On verra si ça continue dans cette voie. 
Mais l'idée que mon travail soit dans la bibliothèque d'enfants c'est juste incroyable.

Tu es toi-même une fan de BD ? Tu en lis beaucoup ?

J: Oui et non. 
J'adore les BD, mais des choses très particulières comme par exemple Beauté de Kerascoët ou Morgane de Stéphane Fert et Simon Kansara. Des BD avec un style graphique particulier.
Par contre, je n'ai pas du tout grandi avec Spirou, Tintin, Astérix et Obélix et les autres. Je pense que je ne suis pas une grande fan de classiques.
Après j'ai quand même plein de BD parce qu'il y a plein de choses qui me touchent et encore plus maintenant. Je consomme de la BD mais il faut vraiment que j'ai un affect avec l'histoire ou le graphisme.


Et toi Carbone tu es une fan de BD ? Parce qu'il me semble qu'au départ ce n'est pas vraiment ton choix de carrière.

C: En effet, je suis enseignante en maternelle et je tombe déjà dans la littérature jeunesse par le plus grand des hasards et j'arrive à la BD par le plus grand des hasards aussi.
J'ai des frères qui sont très bédéphiles mais moi je ne le suis pas forcément, même si j'ai lu des classiques.
Pour dessiner il y a des écoles et des cours pour acquérir les bases et tout le reste, mais pour le scénario il n'y a rien.
Quand j'ai commencé je ne savais pas à quoi ressemblait un scénario de BD, donc je l'ai fait comme je pensais que ça devait se faire.
Je fais le synopsis et en le faisant je fais directement le découpage visuel, car j'ai besoin de voir sur la planche ce que ça donne en gros. Après cela reste une proposition et le dessinateur est totalement libre de modifier.
J: Mais ça aide énormément, surtout pour une première BD.
C: Moi je fais ça un peu comme un film: j'ai le film qui est très flou mais j'ai les personnages et je sais comment ils doivent être. Après je fais des arrêts sur image et je me demande si le dessin doit être en gros plan, en plan large, ou autre et je mets tout de suite les bulles.
Mais en fait, je ne savais pas que ça ne se faisait pas comme ça.

Ah oui, tu voles un peu du travail de Justine en fait *rire*

J: Oui mais c'est top, surtout pour une première BD, quand on ne sait pas vers quoi on doit se diriger. Quand elle envoie les pages, tu peux déjà lire, imaginer et te projeter et c'est génial parce que tu n'as "plus qu'à" dessiner.
L'avantage c'est que j'ai pas à me poser 36 mille questions parce que j'ai déjà une énorme base que je peux suivre ou modifier. Mais les neuf-dixième de ce qu'elle me propose, je les garde tels quels.
C: Et je pense que c'est ce qui fait aussi un peu ma force et ce qui m'a fait repérer auprès des éditeurs et de Dupuis notamment. Au bout d'un quart d'heure l'éditeur sait s'il veut mon projet ou non, car il a le pitch, le synopsis et quelques planches découpées.
Par contre, je ne sais pas faire de gags. Si on me le demande je le fais, mais c'est pas ce que je préfère faire.
Ici par exemple on nous a demandé une planche sur l'O.N.U. pour Spirou. Je l'ai faite pour l'exercice, mais je serai incapable de faire un 48 pages. C'est vraiment quelque chose de particulier et de technique qui ne me convient pas. Mais j'admire ceux qui savent le faire.
C'est comme les grandes descriptions et les romans. J'ai fait quelques romans mais ce n'est pas ce qui m'éclate le plus.
J'aime les choses qui vont vite: quand je suis sur un scénario, en trois semaines, un mois maximum tout est écrit, découpé et c'est fini. Alors que si je devais en faire un roman, je mettrais peut-être six mois à tout écrire, tout en ayant la contrainte du nombre de signes. Ce n'est pas pour moi.
J: Et puis l'avantage, c'est que lorsqu'on reçoit ton scénario, on sait déjà ce que toi tu imagines et ça c'est un énorme plus. On a ta vision et on sait qu'on peut amener la nôtre. Pour une première BD et pour la BD en général, c'est génial de recevoir ça.
Je ne sais pas ce que j'aurais fait si tu m'avais envoyé un texte. En fait je crois qu'il n'y aurait pas de BD *rire*
C: C'est ma façon de travailler et je ne sais pas faire autrement. C'est comme ça que je le sentais, mais sans savoir comment se faisait un scénario de BD. Je n'en avais jamais vu et comme on l'a dit, il n'y a pas d'école de scénariste.
mes scénarios ressemblent à ça: des cases bleues avec quelques indications et des bulles de couleur.
J: Et c'est très cool parce que tu peux lire la BD sans même avoir les images. Par contre, je ne sais pas du tout comme je ferais si un autre scénariste me proposait un scénario et me disait de le découper. Parce que finalement le découpage ça reste du scénario, parce que tu dois donner un rythme.

Vous avez prévu combien de tomes pour Lya ?

C: On est partie sur un triptyque. Si ça fonctionne on peut continuer sur un autre cycle, j'ai déjà les idées. Mais pour le moment c'est un triptyque.
Sachant qu'en plus on a une autre série en commun qui va arriver vite.

Encore en duo ?

C: Cette fois c'est un trio. Je suis co-scénariste avec Nicolas Bary et là on part sur six tomes. C'est Justine qui dessinera les six tomes.

C'est une commande de Dupuis ?

C: C'est Dupuis qui nous a mis en relation, oui.

Mais du coup, tu dors quand ? *rire*

C: Oh mais je dors beaucoup ! Je dors beaucoup et je travaille vite. Et heureusement, parce que sinon je ne pourrais pas dormir. Mais oui, j'ai quand même signé sept séries chez Dupuis cette année, donc ça fait beaucoup de boulot.

Justine, c'est ta première Foire du Livre en tant qu'autrice, qu'est-ce que ça te fait?

J: Ah mais ce week-end ce sont toutes mes premières fois en tant qu'autrice: interviews, dédicaces, etc.
C'est cool mais c'est quand même beaucoup de pression.

Surtout que c'est une sortie en avant-première pour Lya, donc vous n'avez pas encore eu beaucoup de retours sur la BD.

C: On a quand même eu quelques retours, parce que Lya est en prépublication dans le Spirou. Donc c'est chouette parce qu'on a vu des gens en dédicace qui avait lu Lya dans le Spirou et qui viennent acheter la BD.
J: Et on a quand même eu beaucoup de gens qui sont venus aussi en nous disant "J'ai vu la couverture, j'ai bien aimé donc je la prends."
Les premiers retours semblent bons.


Vous ne l'avez proposée qu'à Dupuis?

J: On l'avait envoyée à Dupuis, mais quand on attendait leur réponse on l'a aussi envoyée à un autre éditeur.
C: De toute façon, maintenant je propose mes projets en priorité à Dupuis.
J: Oui, notre priorité c'était Dupuis. Mais on a reçu une réponse d'un autre éditeur qui nous a envoyé un pavé expliquant qu'ils aimaient beaucoup l'histoire, mais que ça avait fait l'objet d'un grand débat chez eux parce qu'ils n'étaient pas sûrs que le graphisme soit approprié à l'histoire.
C: Je ne me rappelle pas du tout.
J: Mais si ! Et ils avaient même conclu en demandant pourquoi tous les personnages avaient des lunettes... Et moi j'étais là: "Mais on s'en fout ! On est beaucoup dans le monde à avoir des lunettes, je vois pas où est le problème."
Apparemment ils trouvaient ça compliqué d'avoir un personnage handicapé sur trois volumes.
Alors oui c'est compliqué, mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire.
C: Je ne me souviens toujours pas *rire*
J: C'est pas grave, tu retrouveras ton mail *rire*
Mais cette réponse m'a marquée parce que c'était le premier retour qu'on recevait, et ils disaient qu'ils étaient intéressés mais qu'ils avaient peur de ce que ça pouvait donner.
Mais bon, comme Dupuis a répondu le même jour en disant que c'était ok et qu'ils étaient notre priorité, on n'a pas hésité.

Il y a déjà une date de sortie prévue pour le prochain tome ?

C: Oui, c'est prévu pour janvier 2020.
J: En fait ça devait être pour septembre-octobre parce que je vais le terminer en juin. Mais je vais commencer notre autre projet en juillet et ça devrait durer jusque janvier. Donc je pourrai commencer le tome 3 de Lya seulement après.
Donc pour ne pas qu'il y ait un trop grand écart entre le tome 2 et le tome 3, on a repoussé la date du tome 2 en janvier pour être sûrs ça ne fasse pas trop long.
C: Et puis c'est bien, ça fait moins d'un an entre les deux tomes, c'est un délai raisonnable.

J'ai hâte de lire ça en tout cas ! Merci d'avoir pris le temps de me répondre, et bonne continuation.

C: Merci.
J: Merci.
Dans les yeux de Lya par Carbone Cunha © Dupuis 2019
Photos: Antoine Dognaux

4 commentaires:

  1. La boîte à musique et Dans les yeux de Lya sont des BD qui me font grave de l’œil.
    Chouette interview ! C'était intéressant à lire et ça donne encore plus envie de craquer.

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    1. Merci pour ton retour :-)
      J'ai passé un très bon moment avec Justine et Bénédicte et j'espérais que cela se ressentirait dans l'interview. Je voulais qu'on retrouve ce côté "discussion entre copines" et d'après les premiers retours ça a l'air d'être le cas :-)
      Je te confirme que les deux BD sont à découvrir, elles sont superbes <3

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  2. Très chouette interview ! J'ai noté les références à Morgane et Beauté, deux BD que j'ai aussi adorées ! Par contre, ça ne m'a pas choquée qu'il y ait beaucoup de personnages avec lunettes, je n'avais même pas fait attention, ce n'est pas l'intrigue de l'histoire :D

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    1. Merciii <3
      J'ai adoré Beauté, mais je n'ai pas lu Morgane... Une sur deux :p
      Je n'y avais pas fait attention non plus. Ils ont juste voulu pinailler ;-)

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