lundi 5 novembre 2018

Rencontre avec Emile Bravo à l'occasion des BDays


Ce vendredi 2 novembre j'étais à Rive Gauche à Charleroi à l'occasion des BDays pour y rencontrer Emile Bravo, l'auteur des albums Le journal d'un ingénu et L'espoir malgré tout.
Les deux tomes sont parus à presque dix années d'intervalle et trois de plus sont prévus, à paraître jusqu'en 2021.

J'étais donc invitée par Dupuis pour réaliser une interview de l'auteur. Pour des raisons pratiques, celle-ci s'est déroulée en même temps que celle pour La Nouvelle Gazette. Si je n'ai pas su poser toutes mes questions telles que je les avais écrites, Emile Bravo y a tout de même répondu par l'intermédiaire de celles du journaliste.
Je vous livre donc les réponses d'Emile Bravo, reliées à mes propres questions, telles qu'elles étaient formulées dans mon carnet.

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Pourquoi placer votre histoire durant la Seconde Guerre Mondiale ? C'est tout de même un contexte assez particulier.

Je m'intéresse à cette période de l'histoire depuis que je suis tout petit. C'est un sujet qui m'a toujours intéressé et que je finis par connaître parfaitement.

En plus, vu le contexte social actuel, je trouve que c'est important de rappeler aux enfants ce qu'a été cette époque, avec pour objectif une sorte de devoir de mémoire.
Je voulais également désamorcer l'horreur par l'humour et l'apprentissage.
Quand on rentre dans ce genre de sujet, il vaut mieux avoir une soupape pour respirer et évacuer la pression. Dans ces albums, la soupape c'est l'humour que je glisse dans les rapports entre Spirou et Fantasio, ainsi qu'avec d'autres personnages humoristiques.
Ca a toujours été ma façon de raconter des histoires: prendre des sujets sérieux et essayer de les transmettre à travers l'humour, car selon moi c'est une méthode pédagogique essentielle, c'est comme cela qu'on retient le mieux.

Je raconte souvent que durant ma scolarité, il y a à peu près 5 profs qui m'ont aidé à me construire, qui m'ont apporté des choses et dont les cours étaient agréables à entendre. Le point commun entre ces 5 profs, c'est qu'ils avaient le sens de l'humour et beaucoup de détachement par rapport à ce qu'ils nous apprenaient, du coup ça rentrait mieux.
C'était un vrai bonheur d'assister à leurs cours, car on se marrait et on apprenait énormément de choses.
Je pense que l'humour a toujours été un super vecteur d'apprentissage, surtout en ce qui concerne les sujets les plus graves.


Je suppose que vous avez dû faire pas mal de recherches historiques?

Je me suis essentiellement basé sur un livre écrit par Paul Struye et Guillaume Jacquemyns qui s'appelle La Belgique sous l'Occupation allemande (1940-1944). Ce livre a été une mine d'informations pour moi.

Ce livre est très intéressant car c'est un rapport écrit durant l'Occupation par Paul Struye - qui était juriste à l'époque et qui est devenu ministre de la justice par la suite.
Paul Struye écrivait des rapports qui étaient ensuite envoyés tous les semestres au gouvernement en exil à Londres. C'était un compte-rendu détaillé de ce qu'il se passait; ça allait des courants de pensée du peuple, à la politique en passant par les diverses pénuries ou encore le prix du pain.
On découvre la vie de la Belgique sous l'Occupation, six mois par six mois en toute objectivité. C'est très neutre, il n'y a aucun jugement dans ces rapports.
D'ailleurs, ceux-ci se présentaient sous la forme d'un simple journal (intime), au cas où les allemands tombaient dessus.
C'est très neutre, mais c'est parfait pour se plonger dans le contexte de l'époque.

J'ai suivi ce journal chronologiquement. J'ai essayé de vivre cette Occupation, sans avoir le jugement que nous avons à posteriori.


Vos Spirou et Fantasio sont très loin des codes originels des personnages de Franquin. 
Je vous avoue que si Spirou m'a attendrie de par sa naïveté et sa candeur, le personnage de Fantasio est parfois presque détestable.

C'est justement tout le but. Ce que je raconte, c'est tout ce qu'il se passe avant les codes originels de Spirou et Fantasio. L'idée, c'est justement de construire ces personnages.
Le premier album de Franquin parait un peu après-guerre et par exemple, le personnage de Fantasio au début, il est un peu imbu de sa personne, pas vraiment agréable.
Moi je raconte ce qu'il se passe avant ça, donc ce côté de lui est encore plus exacerbé. Il est en train de se construire le pauvre, il faut lui laisser le temps.

C'est pareil pour Spirou: c'est juste un enfant pour l'instant.
Dans le premier album, je raconte son éveil. Maintenant il faut le construire. La particularité c'est que lui doit justement se construire pendant la guerre.
Il y a donc des choses terribles qui se passent durant cette période, mais après il faudra d'office aller dans la légèreté, et c'est là qu'entre guillemets, je passe le relais à Franquin avec ses aventures virevoltantes et légères.

Mon histoire se termine au moment où l'album Il y a un sorcier à Champignac démarre. J'ai en quelque sorte voulu faire la transition et répondre à la question "comment un groom devient un aventurier ?"

Je voulais également expliquer comment on passe d'une mascotte assez insignifiante et assez peu sympathique pour le Journal de Spirou en 1938, au personnage de Franquin de 1946 qui a une conscience, qui réfléchit et qui a un fort humanisme.
J'explique ce qu'il se passe entre les deux, comment on passe de l'un à l'autre.


Vos BD sont tout-public, cependant certaines scènes sont assez dures. Je pense notamment à l'explosion du Moustic Hotel, ainsi qu'à la toute première scène du Journal d'un ingénu, mettant en scène des prêtres.

Au contraire, cette scène c'est une histoire très positive. C'est un prêtre qui ne cède pas à la tentation. C'est quand même beau. *rire*
Ca dénonce d'ailleurs plus l'alcoolisme chez les prêtres, au-delà de la pédophilie. Parce que bon, le sang du Christ, c'est quand même du pinard... *rire*


Mais de façon générale, j'essaie de montrer l'horreur de cette époque, mais avec beaucoup d'humour et de dérision, pour dédramatiser le tout.

Pourquoi revenir dix ans après avec un nouvel album ?

Quand Le journal d'un ingénu est sorti, c'était pour un one-shot car c'était le principe de la collection "Le Spirou de...".
Quelques années après mon éditeur me dit que finalement cette histoire de one-shot c'est plus trop d'actualité, et que si j'ai encore quelque chose à raconter sur Spirou, je peux le faire.

Ca n'a pas vraiment pris dix ans, car j'ai repris l'histoire quand l'idée m'est venue, vers la fin 2012.
Et comme je me suis plongé dans l'Occupation et que celle-ci a duré 4 ans, ça m'a pris 4 ans à écrire. *rire*
L'idée c'était de vivre ces quatre années d'Occupation de façon objective en se mettant dans la peau d'un enfant, qu'est Spirou à cette époque.


Evidemment, nous savons tous comment la guerre se termine, mais pour vos personnages, comment cela va-t-il se passer dans les prochains tomes ?

Etant donné que ça suit les événements de guerre, ça ne peut qu'empirer. J'essaie de montrer que plus on avance, plus l'oppression est violente et horrible.
Ca va de plus en plus mal, mais bon, je crois qu'ils vont s'en sortir. *rire*
Il faut bien qu'ils puissent arriver jusqu'à Champignac et chez Franquin.


Qu'est-ce ce que cela vous fait de voir que "votre" Spirou est l'emblème de la célébration des 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme?

C'est très touchant, parce que c'est venu de L'espoir malgré tout, car cette BD a un côté très humaniste.
Mais il ne faut pas se leurrer, c'est Spirou, ce n'est pas mon personnage.


Non, mais c'est votre trait.

Oui, c'est mon trait, mais c'est juste un outil.
Mais effectivement, je suis touché parce que c'est cet album qui a inspiré l'idée. Après il suffisait de faire un Spirou qui faisait un signe rassembleur.
Ce geste est d'ailleurs repris d'une carte de voeux que j'ai faite il y a dix ans. Le communicant de l'ONU a trouvé que le geste était sympa et était un beau signe de ralliement.

Encore, une fois, il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas moi qui ai créé ça. Le personnage de Spirou est déjà porteur de ces valeurs-là au départ.


Une question bateau pour terminer: quelles sont les BD ou les auteurs de BD de votre enfance ?

J'ai grandi avec tous les belges. Mon enfance c'est Hergé, Franquin, Peyo, Morris.
De chez moi il y a également eu Gosciny, mais sinon je n'ai grandi qu'avec des auteurs belges. Et je ne savais même pas qu'ils étaient belges, je ne l'ai su que par la suite, en grandissant.

J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet:
Quand j'étais petit je passais mes vacances en Espagne et je lisais des BD populaires de là-bas, comme Mortadel et Filemon.
Et il y avait notamment Ibanez, un auteur espagnol ultra connu qui a fait pratiquement toutes les BD populaires en Espagne. Il faisait une BD, El botonnes sacarino, qui mettait en scène un personnage habillé en groom. C'était en fait un personnage habillé en Spirou, mais avec la tête de Gaston. Et évidemment ce personnage était fainéant et ne faisait que des conneries.

Cette BD me faisait marrer, mais je n'avais pas fait le rapprochement. Jusqu'à ce que je voie un gag qui est la copie conforme du fameux gag où Gaston et Mademoiselle Jeanne vont au bal costumé, et où la queue de cheval de Jeanne sert à faire celle du costume du cheval.



C'est là que j'ai réalisé que tout le personnage était pompé sur Gaston et Franquin.

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Extraits BD et couvertures:
Le Spirou d'Emile Bravo par Bravo © Dupuis 2018
Spirou et Fantasio par Cauvin Fournier Franquin Greg Janry Morvan Munuera Nic Roba Tome Vehlmann Yann Yoann © Dupuis 2018

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