mercredi 14 novembre 2018

Rencontre avec Delaf et Dubuc à Bruxelles


Ce lundi 5 novembre, à l'occasion de la sortie du tome 8 de la BD Les Nombrils, j'étais invitée par les éditions Dupuis à l'hôtel Be Manos à Bruxelles pour rencontrer Maryse Dubuc et Marc Delaf.
J'ai passé un excellent moment en leur compagnie et j'ai été touchée par leur simplicité et leur sympathie.

J'ai donc pu leur poser des questions sur la série en général, mais l'interview ne comporte pas de spoil sur le dernier tome.
Par contre, il y a des spoil sur les tomes précédents, je ne pouvais pas faire autrement. Donc si vous n'avez pas lu tous les tomes des Nombrils, faites attention, je mettrai des balises *spoiler* aux endroits concernés.

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Au départ, qu'est-ce qui vous a donné envie de créer Les Nombrils?

Maryse: L'idée de départ c'était de travailler ensemble, de créer une BD en commun. Moi je venais plus de l'écriture du roman jeunesse et Marc de la BD.
D'ailleurs Les Nombrils c'était d'abord une idée de roman, mais ensuite on a décidé de modifier et d'en arriver à la BD et à cette dynamique avec les trois filles.

La BD est d'abord parue dans un mensuel québécois, puis lorsqu'on a accumulé quelques pages on les a proposées à Dupuis, en se disant qu'ils allaient nous refuser et qu'ensuite on passerait à autre chose.
Et puis finalement non, trois jours plus tard c'était parti pour Les Nombrils.

Le délai est très court, ça a dû plaire tout de suite !

Maryse: Ah ça oui ! On s'attendait à attendre six mois, mais non. *rire*

Marc: Le désir de base c'était vraiment de faire de l'humour vache, de s'amuser avec deux personnages assez méchants.

Ah oui, là c'est réussi ! Ce sont de vraies pestes. 

*rire*

Au départ, c'était de petits gags sur une planche, puis au bout de quelques tomes, vous êtes partis sur une histoire suivie.

Marc: Mon envie de départ était déjà très visuelle, parce que je venais du dessin animé. Je voyais des filles qui soient toujours dans des positions assez extrêmes, en train de taper sur une autre ou en train d'être méchantes voire vraiment garces.
Puis quand le projet a été accepté, on s'est dit qu'il fallait élargir tout ça pour qu'il y ait plus de profondeur et de psychologie. De fil en aiguille on en arrive à une histoire qui se tient.

Vous savez déjà comment ça se termine? Jusqu'où vous voulez aller dans l'histoire ?

Marc: En tout cas on a des envies.

Maryse: On a déjà plusieurs envies et on a déjà quelques étapes par lesquelles on sait qu'on doit passer, mais il en reste encore.
Il nous reste plusieurs envies et plusieurs tomes à réaliser

De toute façon, c'est inutiles pour nous de prévoir trop de choses à l'avance, parce que c'est sûr qu'on va finir par tout bousculer et tout changer.

Marc: On commence à se connaître: déjà dans le tome 7, on a finalement raconté ce qu'on prévoyait pour le tome 9 et pareil pour le tome 8: on avait un plan assez précis et on a fini par faire ce qu'on prévoyait pour un autre tome.
On change à chaque fois.


*spoiler sur le tome 7*
Vous chamboulez vos plans, mais vous suivez tout de même une ligne directrice, parce qu'il y a des éléments qui se relient de tome en tome.
Si je prends la fin du tome 7, où on apprend que Willy est le fils de Will (et donc le demi-frère de Vicky) on se rend compte que tout cela devait être prévu depuis longtemps.
Tous les indices étaient là finalement.

Marc: Oui, c'était prévu depuis un moment.
En fait quand on a commencé à inclure Willy dans la série - sa première apparition doit dater du tome 2 - c'était déjà une porte qu'on s'ouvrait en se disant "Et si c'était le fils de..."
On s'est dit "On verra bien" et puis finalement dès le tome 3 on a décidé qu'on le ferait apparaître à un moment.

Quel est votre personnage préféré dans vos BD?

Marc: Je pense que pour tous les deux c'est Vicky. C'est en quelque sorte le personnage le plus développé.

Maryse: C'est parce que tu t'es souvent posé la question que tu peux répondre aussi vite, parce qu'en réalité un personnage préféré, on n'en a pas vraiment.
Pour moi Jenny Vicky et Karine ce sont un peu les trois facettes d'une fille complète: il y a le côté coquet, le côté un peu plus méchant et qui en même temps a besoin d'être aimé et le côté un peu plus doux.

C'est facile de s'attacher à Karine, c'est naturel. Pour Vicky ça l'est beaucoup moins. Je pense que c'est aussi pour ça que Marc dit que c'est notre préférée, parce qu'on a vraiment développé ce personnage avec tout ce qui la travaille intérieurement.

Pour ce qui est de Jenny, c'est quelqu'un de très résiliant, qui vient d'un milieu absolument abominable et qui au final n'est pas si mauvaise.

Finalement chacun des personnage a quelque chose à apporter à l'histoire.

Marc: Vicky est un peu le personnage mal-aimé de la série, que les lecteurs n'aimaient pas trop au départ. D'ailleurs on ne nous la demandait jamais en dédicace.
Donc à un moment, on s'est dit "Et si on en faisait le personnage préféré des lecteurs" et depuis on a beaucoup de beaux témoignages par rapport à Vicky.
Pour moi elle a une place un peu particulière.

Est-ce que c'est une volonté de votre part de créer des personnage aussi différents? Il y a des personnages qui ont du mal avec leur physique comme Karine ou Hugo, des beaux gosses un peu limités comme Jean-Francky et puis il y a aussi des personnage LGBT comme Mégane et Vicky.
C'est une volonté de parler à tout le monde ?

Marc: Ce n'est pas vraiment une volonté de parler à tout le monde, c'est purement un désir de création.
On se dit " Ok, on a créé tous ces personnages-là. Qu'est-ce qu'il peut leur arriver qui soit vraiment excitant?"
Et donc et si on créait une romance entre Vicky et Mégane?
Ce qui nous animait au départ, c'était pas tant de se donner des thèmes imposés et de se dire qu'il faut absolument parler des personnes LGBT, c'est venu en cours de route et ça nous a excité parce que c'était lié à l'histoire même du personnage.

Maryse: En tant que créateur, quand tu crées un nouveau personnage, tu as envie de lui apporter des caractéristiques propres, qui vous le distinguer des autres et qui vont te permettre de raconter une histoire avec un point de vue complètement différent.

Au début les personnage étaient beaucoup plus caricaturaux, mais on a su les enrichir et maintenant, comme l'univers est devenu un peu plus réaliste et un peu plus adulte, on peut se permettre d'arriver directement avec des personnages qui sont plus aboutis.

Marc: Mais ce n'était pas du tout dans un désir d'être politiquement correct et de dire qu'on allait parler de tel ou tel sujet.

Maryse: De plus, ça faisait déjà longtemps qu'on savait que Vicky n'était pas réellement et sincèrement attirée par les hommes. On plaçait de petits indices ici et là, mais ça restait discret parce qu'elle ne se l'avouait pas à elle-même

Marc: Et même en le sachant, elle ne se l'avoue toujours pas. Elle fait ça dans le but de plaire à sa famille, de bien se faire voir, de conserver sa position sociale, etc.


Est-ce que vous placez votre histoire dans un endroit particulier, ou c'est un endroit fictionnel ? Parce que lorsqu'on voit les tenues hivernales de Jenny et Vicky, elles ne peuvent clairement pas vivre au Québec. 

*rire*

Maryse: C'est purement fictionnel. Pour nous c'est une sorte d'Amérique francophone, sans que ce soit nécessairement le Québec.
Les décors sont forcément un peu inspirés de chez nous. On met les prix en dollars parce que c'est le symbole de l'argent le plus connu.
On a choisi de ne pas se situer à un endroit géographique particulier, parce que ce qu'on raconte c'est l'histoire d'adolescentes et pas de québécoises.
On parle d'une période de la vie et non pas d'un lieu géographique. On voulait parler de ce moment particulier de la vie où tu découvres peu à peu ton identité.

Vous vous basez sur des expériences personnelles parfois ?

Maryse: Pas vraiment. Les personnages ont leur existence propre. Par contre on tient à chaque fois à être capable de se projeter dans le personnage, de croire à ses décisions et à ses erreurs. Surtout à ses erreurs en fait.
On veut y aller avec sincérité. On ne se base pas sur du vécu, mais nous on essaie de vivre ce que les personnages expérimentent.

Est-ce qu'on va revoir Dan dans un prochain album?

Marc: Je pense que la vraie réponse, c'est qu'on ne sait pas. La porte est ouverte. Peut-être, peut-être pas.
Ça va dépendre de la construction des tomes 9 et 10. Parce que finalement, il y a plein de chose qu'on voulait mettre dans le tome 8 et qu'on a finalement dû reculer.
On doit raconter une histoire et se centrer sur un thème. Il y avait des choses qu'on voulait mettre mais qui se greffaient mal au thème et donnaient une histoire un peu boiteuse.
Du coup on a retiré ces éléments. Peut-être qu'ils reviendront pour le tome 9, si ça s'y prête.
Le but c'est de construire les meilleurs histoires possibles. Si Dan fait partie de la meilleure histoire du tome 9 ou du tome 10 il y sera.

Il faut raconter une histoire qui se tient en 48 pages, je suppose que ce n'est pas toujours simple.

Marc: Oui c'est ça.
En plus on a plusieurs personnages, dont trois personnages principaux. On ne peut pas dire "Les Nombrils c'est l'histoire de Karine et ses amies" ou "Les Nombrils c'est l'histoire de Jenny et ses amies". Non c'est l'histoire de Karine, Jenny et Vicky.
On a trois personnages principaux et énormément de personnage secondaires et on sait que ce serait décevant si Mégane ne faisait pas partie du tome 9.
Donc Mégane doit faire partie du tome 9, mais il faut qu'elle ait sa propre histoire.
A un moment donné ça fait beaucoup d'histoires à gérer et à entremêler, donc si on s'impose en plus de faire revenir Dan ou autre chose, ça devient vraiment compliqué.

Comment est-ce que vous vous répartissez le travail ? Les tâches sont définies à l'avance ou c'est plus un joyeux bordel organisé ?

Maryse: Moi je ne dessine pas du tout, donc le dessin c'est exclusivement Marc. Mais pour l'écriture il y a eu de tout. Ça a varié au fil des albums.
On peut cependant dire que je suis plus spécialiste de la psychologie des personnages et des dialogues et que Marc s'occupe plus du côté gag.

Marc: Mais en même temps, le côté gag est intimement lié à ce qu'on raconte dans la planche et les dialogues sont liés aux gags. C'est finalement plus un ping-pong entre nous deux.


Et ça ne vous lasse toujours pas, après plus de dix ans ?

Maryse: Non, justement parce que la série change et évolue. Si on avait éternellement dessiné Karine qui se fait taper dessus par les deux autres, au bout de 8 albums je pense qu'on serait épuisé.
On se permet d'aller explorer des voies différentes, et je pense qu'on devient aussi plus efficaces.
Pour les premiers albums - qui étrangement sont sortis plus rapidement - on a travaillé vraiment très fort, on y mettait énormément d'heures et notre vie c'était exclusivement Les Nombrils.
Maintenant on arrive un peu à avoir une vie en dehors des Nombrils. Après 12 ans, ça aide pas mal. * rire*

C'est pour ça que vous avez fait le spin-off Les Vacheries ? Pour vous éloignez un peu de l'histoire continue et revenir aux gags ?

Marc: Oui un peu. On a voulu revenir à la genèse des Nombrils parce que, le pitch quand Dupuis a accepté la série, c'était justement la dynamique entre Jenny, Vicky et Karine. On savait qu'on s'en était éloigné, parce qu'on a fait évoluer Karine assez rapidement.
On savait que c'était la chose à faire parce que c'était vraiment excitant et que c'était ce qu'on avait envie de faire mais on sentait qu'il restait plein de choses qu'on aurait pu raconter.
Le fait d'y revenir quelques années plus tard et de se reconnecter avec le désir de base, c'est plutôt chouette.

Vous en prévoyez un autre ?

Marc: Le tome 2 des Vacheries est presque terminé. Peut-être qu'il y en aura un 3...


Il y a deux ans, on parlait aussi d'un film sur Les Nombrils. C'est toujours d'actualité ?

Maryse: C'est super compliqué ! On s'est complètement détaché de toute la question du film. Si ça vient, ça vient, sinon tant pis.

Marc: Ça fait déjà sept ans que le projet est sur les rails. Ça avance, ça recule, ça avance ça recule... A un moment donné on s'est dit qu'on allait plutôt se concentrer sur nos albums.
De notre côté on a écrit une version du scénario, mais on verra bien ce qu'il se passera.

Donc ça n'est encore qu'au stade du scénario ?

Maryse: Ça a été à tellement de stades différents qu'on a arrêté de suivre.
On réalise que le monde de la BD est plus petit et qu'on a plus de contrôle. C'est ce qui nous plait le plus et finalement on est bien dans la BD.

Qu'est-ce que ça vous fait de voir que ce que vous avez créé est disponible partout dans la francophonie?

Maryse: Le fait de se faire connaître c'est venu plutôt rapidement. Il y a seulement eu les quelques premiers mois où on a commencé la BD où on était seulement connu au Québéec.
Se retrouver de manière très rapide dans le magazine Spirou, ça nous a automatiquement fait connaître dans la francophonie.
Les Nombrils ça a toujours été une BD qui touchait beaucoup de gens.

Marc: Ça reste tout de même quelque chose de surprenant, de se dire que notre univers peut traverser les frontières. C'était pas une chose qu'on s'imaginait dès le départ.
Quand Dupuis a accepté le projet, c'était une belle surprise. Ça voulait dire qu'un éditeur belge pouvait se reconnaître dans l'histoire qu'on racontait avec notre vécu québécois. C'était quand même chouette.

Etre publié chez Dupuis, qui est une grande maison d'édition de BD, c'est presque une consécration finalement.

Marc: Oui vraiment !
Je me rappelle quand on a eu l'appel de Benoit Frippiat qui allait devenir notre éditeur. Quand il nous a dit: "Je vous accepte chez Spirou mais aussi en album et on vous invite en Europe pour signer les contrats" notre réaction c'était à peu près "Quoi ?! Sérieusement ?" *rire*

Vous avez aussi été traduits ?

Maryse: Oui, on doit avoir été traduit dans une dizaine de langues je pense.

Vous avez beaucoup de contacts avec vos lecteurs en dehors des dédicaces ? Je sais que vous êtes assez présents sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook et Instagram.

Maryse: Oui on a beaucoup d'aller-retour et de commentaires. Il y a aussi un forum qui est assez actif sur Spirou.com où les lecteur lisent les pages au fur et à mesure et se relancent les uns les autres.
On a beaucoup de retours et je pense que c'est caractéristique de l'époque dans laquelle on vit. Tu as instantanément du retour sur ce que tu fais. A la limite il faut aussi parfois savoir s'en détacher.
Parce qu'il y a également toute cette impatience des lecteurs, qui dès la sortie d'un album demandent déjà la date de parution du suivant. Ça peut mettre un peu la pression.


Est-ce que vous avez d'autres projets que Les Nombrils ou est-ce que vous vous concentrez essentiellement là-dessus ?

Maryse: Pour l'instant on veut terminer la série. Ce qui ne nous empêche pas de commencer à penser à un après.
Peut-être aussi avec des projets solo, peut-être pas. Ça reste flou parce qu'on a n'a pas eu le temps d'y réfléchir jusqu'à maintenant.

Marc: On a tellement la tête dans le guidon que c'est difficile de se détacher et de se demander ce qu'on va faire ensuite.
Et puis on se connait, on sait que si on commence à se créer de nouvelles envies et à faire de nouveaux projets, c'est là-dessus qu'on va avoir envie de se concentrer.
On n'a pas envie de diluer notre envie de continuer Les Nombrils, donc pour l'instant notre seul projet c'est ça.

Vous avez des BD qui ont bercé votre enfance ?

Marc: Moi j'ai grandi avec Spirou et Fantasio, Gaston Lagaffe et d'autres. Du coup, se retrouver chez Dupuis, pour moi c'est vraiment un rêve.
Après il y a eu toute ma période d'adolescence et de jeune adulte où j'ai découvert la BD qui est arrivée dans les années 90. Il y avait l'Association avec entre autres Lewis Throndheim, Dupuy-Berberian qui faisait Monsieur Jean et plein d'autres encore.
Ça m'a ouvert à un autre type de BD.

Maryse: Moi je suis moins BD. Quand j'étais jeune, la BD c'était plus le truc des garçons. C'était la section dans laquelle les garçons se précipitaient en bibliothèque, alors que moi j'étais plus attirée par les romans.
Ensuite j'ai rencontré Marc et je suis rentrée dans l'univers de la BD par celle des années 2000, donc finalement les classiques de la BD je les ai très peu connus.

Marc: Finalement j'ai l'impression que Les Nombrils, c'est en quelques sortes un amalgame entre la BD traditionnelle franco-belge et ce qu'on appelait "la nouvelle BD" dans les années 90 et 2000. C'est un espèce de synthèse de tout ça.

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Voilà qui conclut cette longue interview, qui aura au final duré à peu près vingt minutes. Pas mal hein ?
Je me répète, mais j'ai passé un moment génial en compagnie de Delaf et Dubuc, et je signe tout de suite pour réitérer ce genre de rencontre !

Images, extraits BD et couvertures:
Les Nombrils par Delaf Dubuc © Dupuis 2018

2 commentaires:

  1. Super interview ! Nos trois héroïnes ont bien évolués au fil des tomes et j'aime beaucoup la direction qu'à prise l'histoire. Même si au début, Vicky n'était pas mon personnage préféré, je l'apprécie beaucoup maintenant. Pareil pour Jenny, spécialement dans ce tome 8 mais ça tu le savais déjà ! Et pour Karine, je n'aime pas trop la direction qu'elle prend... En tout cas, j'ai adoré chaque tome et j'attends toujours le suivant avec une grande impatience !

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    Réponses
    1. Merci <3
      Oui les personnages évoluent et c'est chouette ;-)
      J'ai très hâte de voir ce qu'on nous réserve pour la suite :D

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